La réforme voulue par le G5 et le Standard fait parler d’elle pour son format très compliqué. Elle est visiblement calculée pour remplir les poches des clubs, pas les stades.
Il y a quelques jours de cela, quand les deux formats sur la table pour réformer la Jupiler Pro League avaient été présentés, nous avions utilisé un terme fort pour évoquer l’un des deux projets : le mot « délirant ». Car il semblait délirant, ce projet porté par les grands clubs de réformer en profondeur notre football via un format vaguement inspiré des Coupes d’Europe et du championnat suisse.
Rappelons brièvement de quoi il serait question : un championnat à 16 équipes, réparties en 4 poules de 4. Au sein de ces poules, les équipes s’affrontent bel et bien en aller-retour. Pour ensuite compléter le calendrier, elles affronteront 2 équipes de chacune des autres poules, cette fois soit à domicile, soit à l’extérieur.
Une saison sans Clasico ? Sans choc wallon ?
On comprend assez vite ce que ça implique. Les détails des tirages de ces poules sont encore imprécis mais imaginons qu’ils fonctionnent via des têtes de série ; chaque poule contiendrait un « grand » – en l’état, Bruges, Genk, l’Union et l’Antwerp ou Anderlecht, par exemple.
Les équipes versées dans une poule autre que celle du Club de Bruges ou d’Anderlecht devraient faire le deuil de l’un de ces matchs, ou espérer l’affronter lors d’un des autres matchs – là aussi, il sera décidé au tirage au sort si c’est à la maison ou à l’extérieur.
On imagine que le Club de Bruges ne brûle pas d’impatience à l’idée de recevoir le KVC Westerlo, par exemple. Mais dans l’autre sens ? C’est un stade complet assuré en Campine. Une recette perdue. Même chose si Anderlecht ou Genk n’est pas au programme.
Les chances de voir Anderlecht et le Standard dans la même poule, par exemple, seront forcément minces. Cela signifie que l’un des deux stades ne vivra pas de Clasico. Ou pas de choc wallon, pour parler du cas de Charleroi. Côté flamand, même réflexion pour les Batailles des Flandres entre Gand et Bruges, les derbys de Bruges, les derbys du Limbourg, d’Anvers. Imagine-t-on ce qu’implique pour le public du Stayen ou du Cercle de passer une saison complète sans vivre un derby ?
La Pro League contre ses supporters
Une telle réforme est tout simplement une preuve de plus que les dirigeants de la Pro League – et donc, les dirigeants de leurs clubs – sont totalement déconnectés de leur public. Les « incidents » en tribunes, les débordements, les sanctions de la part des instances comme des clubs eux-mêmes (pensons à ce qui se passe en ce moment à Charleroi) : le football belge semble en guerre contre ses propres supporters.
Comment les dirigeants espèrent-ils vendre un produit aussi bancal que celui-là à leurs supporters ? À combien d’abonnés s’attendent-ils si les fans comprennent à peine la formule, et si elle implique que – au hasard – le Mambourg reçoive La Gantoise, Malines, l’Antwerp, le Cercle et Zulte Waregem ? Quelle valeur auront les droits télévisés dans deux ans si les stades sont à moitié vides ? Les grands clubs s’en soucient-ils le moins du monde ?
La formule européenne est un succès, on ne peut que le constater. Mais elle l’est parce qu’elle est un complément à un championnat national à l’identité forte de ses rivalités, de ses classiques, de ses grands moments. De son folklore. À l’époque, le projet de BeNeLigue, totalement rejeté par les supporters (il suffisait pour s’en assurer de parler aux gens, de sortir de son bureau), participait à la même tendance : se déconnecter toujours un peu plus des tribunes. La mort du football, mais les poches bien remplies.